L'archipel de Zanzibar, niché dans l'océan Indien au large des côtes tanzaniennes, a connu une histoire riche et complexe, profondément marquée par la période du protectorat britannique. Cette influence a façonné de manière indélébile le paysage politique, économique et culturel de ces îles. De l'établissement du protectorat en 1890 à l'indépendance en 1963, la présence britannique a laissé une empreinte durable, visible encore aujourd'hui dans l'architecture, la langue et les institutions de Zanzibar.
Comment cette domination coloniale a-t-elle transformé la société zanzibarite ? Quels sont les vestiges les plus tangibles de cette époque ? Et quel a été l'impact à long terme sur l'identité et le développement de l'archipel ? En explorant ces questions, nous plongeons dans une période charnière qui a façonné le Zanzibar moderne et continue d'influencer son évolution.
L'établissement du protectorat britannique à zanzibar en 1890
L'année 1890 marque un tournant décisif dans l'histoire de Zanzibar. Le traité d'Heligoland-Zanzibar, signé entre l'Allemagne et le Royaume-Uni, établit officiellement le protectorat britannique sur l'archipel. Ce changement de statut n'est pas survenu du jour au lendemain, mais résulte d'une longue période d'influence croissante de la Couronne britannique dans la région.
La décision d'établir un protectorat découle de considérations géostratégiques complexes. Zanzibar, avec sa position privilégiée sur les routes commerciales de l'océan Indien, représentait un atout précieux pour l'Empire britannique en pleine expansion. Le contrôle de l'archipel permettait non seulement de sécuriser les intérêts commerciaux britanniques dans la région, mais aussi de contrer l'influence d'autres puissances européennes, notamment l'Allemagne et la France.
L'établissement du protectorat a entraîné des changements profonds dans la structure politique de Zanzibar. Bien que le sultan ait conservé son titre et certaines prérogatives, le pouvoir réel était désormais entre les mains du résident britannique. Cette transition n'a pas été sans heurts, comme en témoigne la brève guerre anglo-zanzibarite de 1896, qui n'a duré que 38 minutes mais a solidifié le contrôle britannique sur l'archipel.
L'administration coloniale et ses structures à zanzibar
La mise en place de l'administration coloniale britannique à Zanzibar a profondément remanié les structures de gouvernance de l'archipel. Les Britanniques ont introduit un système bureaucratique complexe, calqué sur le modèle en vigueur dans d'autres parties de l'Empire, tout en conservant certains éléments de l'administration préexistante.
Le rôle du sultan comme dirigeant nominal sous tutelle britannique
Sous le protectorat, le Sultan de Zanzibar conservait son titre et certaines prérogatives symboliques, mais son pouvoir effectif était considérablement réduit. Il agissait essentiellement comme une figure de proue, maintenant une façade de continuité pour la population locale. Les décisions importantes étaient prises par le résident britannique, qui exerçait un contrôle étroit sur les affaires de l'État.
Cette situation créait une dualité intéressante dans la gouvernance de Zanzibar. D'un côté, le Sultan continuait à incarner la tradition et l'autorité morale pour de nombreux Zanzibarites. De l'autre, l'administration britannique détenait les rênes du pouvoir réel, dirigeant les affaires économiques, judiciaires et diplomatiques de l'archipel.
L'instauration du système judiciaire anglo-indien à zanzibar
L'une des transformations les plus significatives apportées par les Britanniques fut l'introduction du système judiciaire anglo-indien à Zanzibar. Ce système, déjà éprouvé dans les colonies britanniques en Inde, mêlait des éléments du droit anglais avec certains aspects du droit islamique et des coutumes locales.
L'instauration de ce système judiciaire a eu des répercussions profondes sur la société zanzibarite. Il a introduit de nouveaux concepts juridiques, modifié les procédures judiciaires et influencé la résolution des conflits. Cependant, il a également créé des tensions, notamment dans les domaines où le droit britannique entrait en conflit avec les pratiques traditionnelles ou religieuses.
La création du zanzibar government railway en 1905
En 1905, les Britanniques ont entrepris un projet d'infrastructure majeur avec la création du Zanzibar Government Railway. Cette ligne de chemin de fer, bien que modeste en comparaison avec les réseaux ferroviaires développés dans d'autres colonies britanniques, a joué un rôle crucial dans le développement économique de l'île.
Le railway facilitait le transport des marchandises, notamment des épices, depuis les plantations de l'intérieur vers le port de Zanzibar City. Il a également contribué à l'unification administrative de l'île en permettant une communication plus rapide entre les différentes régions. La construction et l'exploitation du chemin de fer ont créé de nouveaux emplois et stimulé le développement de petites industries le long de son tracé.
L'introduction de la roupie de zanzibar comme monnaie officielle
L'administration britannique a également laissé son empreinte sur le système monétaire de Zanzibar. En 1908, la roupie de Zanzibar a été introduite comme monnaie officielle de l'archipel, remplaçant les diverses devises qui circulaient auparavant. Cette mesure visait à standardiser les échanges commerciaux et à faciliter la gestion financière du protectorat.
L'introduction de cette nouvelle monnaie a eu des implications économiques importantes. Elle a renforcé l'intégration de Zanzibar dans le système économique de l'Empire britannique et facilité les échanges avec d'autres territoires sous contrôle britannique. Cependant, elle a également créé une dépendance monétaire vis-à-vis de la métropole, qui persistera bien après l'indépendance.
L'économie de plantation et le commerce des épices
L'économie de Zanzibar sous le protectorat britannique était largement dominée par les plantations et le commerce des épices, en particulier le clou de girofle. Cette orientation économique, déjà présente avant l'arrivée des Britanniques, a été intensifiée et rationalisée sous leur administration.
L'expansion des plantations de girofle sous l'impulsion britannique
Les Britanniques ont encouragé l'expansion des plantations de girofle, reconnaissant le potentiel économique de cette épice sur les marchés internationaux. Ils ont introduit de nouvelles techniques agricoles, amélioré les systèmes d'irrigation et encouragé la plantation de nouvelles variétés de girofliers plus productives.
Cette expansion a eu des conséquences profondes sur le paysage de Zanzibar. De vastes étendues de l'île ont été converties en plantations, modifiant l'écologie locale et les modes de vie traditionnels. L' économie de plantation a également renforcé les inégalités sociales existantes, avec une élite de propriétaires terriens contrôlant la majeure partie de la production.
Le développement du port de zanzibar comme plaque tournante commerciale
Sous l'administration britannique, le port de Zanzibar a connu un développement significatif, devenant une plaque tournante majeure pour le commerce des épices dans l'océan Indien. Les Britanniques ont investi dans l'amélioration des infrastructures portuaires, construisant de nouveaux quais et entrepôts pour faciliter le chargement et le stockage des marchandises.
Ce développement a renforcé la position de Zanzibar dans les réseaux commerciaux régionaux et internationaux. Le port attirait des commerçants de toute la région, contribuant à la prospérité économique de l'île et à son caractère cosmopolite. Cependant, cette orientation vers le commerce extérieur a également rendu l'économie de Zanzibar vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux.
L'exploitation de la main-d'œuvre locale dans les plantations
L'expansion des plantations sous le régime britannique s'est accompagnée d'une exploitation accrue de la main-d'œuvre locale. Bien que l'esclavage ait été officiellement aboli à Zanzibar en 1897, les conditions de travail dans les plantations restaient souvent difficiles et peu rémunérées.
Les Britanniques ont mis en place un système de travail contractuel qui, en théorie, offrait plus de droits aux travailleurs. Cependant, dans la pratique, de nombreux travailleurs se retrouvaient dans des situations proches du travail forcé. Cette exploitation a contribué à exacerber les tensions sociales et raciales au sein de la société zanzibarite, posant les bases de futurs conflits.
L'architecture coloniale et l'urbanisme britannique à stone town
L'influence britannique sur l'architecture et l'urbanisme de Zanzibar est particulièrement visible dans la ville de Stone Town, aujourd'hui classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Les Britanniques ont laissé leur empreinte sur le paysage urbain, introduisant de nouveaux styles architecturaux et des concepts d'aménagement urbain qui coexistent avec les influences arabes et indiennes plus anciennes.
La construction de l'hôpital mnazi mmoja en 1927
Un exemple marquant de l'architecture coloniale britannique à Zanzibar est l'Hôpital Mnazi Mmoja, construit en 1927. Cet établissement médical, l'un des plus grands et des plus modernes de son époque en Afrique de l'Est, illustre l'approche britannique en matière d'infrastructure publique dans les colonies.
L'hôpital, avec son architecture imposante et fonctionnelle, témoigne de l'introduction de la médecine moderne à Zanzibar sous l'administration britannique. Sa construction a non seulement amélioré les soins de santé disponibles pour la population locale, mais a également servi de symbole du progrès et de la modernisation apportés par le régime colonial.
L'édification de la cathédrale anglicane christ church en 1873
Bien que construite avant l'établissement officiel du protectorat, la cathédrale anglicane Christ Church, achevée en 1873, est un monument emblématique de la présence britannique à Zanzibar. Son architecture néogothique, inhabituelle dans le paysage urbain de Stone Town, marque clairement l'influence culturelle et religieuse britannique.
La cathédrale occupe une place symbolique importante dans l'histoire de Zanzibar. Construite sur le site de l'ancien marché aux esclaves, elle représente à la fois le passé douloureux de l'île et les changements apportés par l'ère coloniale. Aujourd'hui, elle reste un témoignage architectural de cette période complexe de l'histoire de Zanzibar.
L'aménagement du forodhani gardens sur le front de mer
Les Forodhani Gardens, situés sur le front de mer de Stone Town, sont un autre exemple de l'influence britannique sur l'urbanisme de Zanzibar. Aménagés pendant la période coloniale, ces jardins publics reflètent l'approche britannique de la planification urbaine, avec des espaces verts organisés et des promenades le long du littoral.
Ces jardins ont joué un rôle important dans la vie sociale de Stone Town, offrant un espace de détente et de rencontre pour les résidents et les visiteurs. Leur aménagement a également contribué à redéfinir le rapport de la ville à son front de mer, créant un espace public qui reste aujourd'hui un lieu emblématique de Zanzibar.
L'impact linguistique et culturel de la présence britannique
L'influence britannique à Zanzibar ne s'est pas limitée aux aspects politiques et économiques. Elle a également eu un impact profond sur la langue et la culture de l'archipel, introduisant de nouveaux éléments qui se sont mêlés aux traditions locales pour créer une identité culturelle unique.
L'introduction de l'anglais comme langue administrative
L'une des conséquences les plus durables de la domination britannique a été l'introduction de l'anglais comme langue administrative à Zanzibar. Bien que le swahili soit resté la langue principale de la population, l'anglais est devenu la langue du gouvernement, de l'éducation supérieure et des affaires internationales.
Cette politique linguistique a eu des répercussions importantes sur la société zanzibarite. Elle a créé une élite bilingue capable de naviguer entre les mondes swahili et anglophone, mais a également contribué à creuser des écarts sociaux basés sur la maîtrise de la langue anglaise. Aujourd'hui encore, l'anglais conserve un statut important à Zanzibar, reflet persistant de l'héritage colonial.
L'influence britannique sur le swahili de zanzibar
La présence britannique a également influencé le développement du swahili parlé à Zanzibar. De nombreux mots anglais ont été intégrés au vocabulaire swahili local, créant un dialecte distinct connu sous le nom de Kiunguja
. Cette influence linguistique reflète l'interaction complexe entre la culture coloniale et les traditions locales.
L'évolution du swahili sous l'influence britannique illustre la capacité d'adaptation et d'assimilation de la culture zanzibarite. Plutôt que de simplement adopter l'anglais, la population locale a intégré des éléments de la langue coloniale dans son propre idiome, créant une forme linguistique unique qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
L'émergence d'une élite zanzibarite anglophone
La période coloniale a vu l'émergence d'une nouvelle élite zanzibarite anglophone. Cette classe sociale, éduquée dans les écoles britanniques et souvent formée au Royaume-Uni, a joué un rôle crucial dans l'administration du protectorat et, plus tard, dans le mouvement indépendantiste.
Cette élite a occupé une position ambivalente dans la société zanzibarite. D'un côté, elle servait d'intermédiaire entre l'administration coloniale et la population locale. De l'autre, elle était souvent perçue comme déconnectée des réalités du peuple. La formation de
cette élite a joué un rôle crucial dans la formation du mouvement indépendantiste zanzibarite. Bien qu'éduquée dans le système britannique, elle a souvent été à l'avant-garde des revendications pour l'autonomie et l'indépendance de l'archipel.
Le mouvement indépendantiste et la fin de la domination britannique
La montée du nationalisme et du mouvement indépendantiste à Zanzibar dans les années 1950 et 1960 a marqué le début de la fin de la domination britannique sur l'archipel. Ce processus, influencé par les mouvements de décolonisation à travers l'Afrique, a conduit à l'indépendance de Zanzibar en 1963.
La formation de l'Afro-Shirazi party en 1957
Un tournant majeur dans le mouvement indépendantiste de Zanzibar fut la formation de l'Afro-Shirazi Party (ASP) en 1957. Ce parti politique, dirigé par Abeid Amani Karume, est né de la fusion de l'African Association et de la Shiraz Association. L'ASP représentait principalement les intérêts de la population afro-shirazi, majoritaire mais marginalisée sous le régime colonial.
L'émergence de l'ASP a marqué une nouvelle phase dans la politique zanzibarite, cristallisant les aspirations d'indépendance et de justice sociale d'une grande partie de la population. Le parti a rapidement gagné en popularité, devenant une force politique majeure et un défi direct à l'autorité coloniale britannique.
Les négociations pour l'indépendance de 1960 à 1963
Les années 1960 à 1963 ont été marquées par d'intenses négociations entre les dirigeants zanzibarites, les autorités britanniques et les différentes factions politiques de l'archipel. Ces discussions, souvent tendues, portaient sur les modalités de transition vers l'indépendance et la future structure politique de Zanzibar.
Les négociations ont été compliquées par les divisions ethniques et politiques au sein de la société zanzibarite. L'ASP faisait face à l'opposition du Zanzibar Nationalist Party (ZNP), qui représentait principalement les intérêts de l'élite arabe et qui plaidait pour une transition plus graduelle. Les Britanniques, quant à eux, cherchaient à assurer une transition pacifique tout en préservant leurs intérêts stratégiques dans la région.
La proclamation de l'indépendance le 10 décembre 1963
Le 10 décembre 1963 marque un tournant historique pour Zanzibar avec la proclamation officielle de son indépendance. Cette date a vu la fin de 73 ans de domination britannique et l'émergence de Zanzibar en tant qu'État souverain. Le Sultan Jamshid bin Abdullah est devenu le chef d'État constitutionnel, tandis qu'un gouvernement élu prenait les rênes du pouvoir.
L'indépendance a été célébrée avec enthousiasme par une grande partie de la population zanzibarite, qui y voyait l'aboutissement de décennies de lutte et d'aspirations. Cependant, les tensions sous-jacentes qui avaient marqué la période coloniale n'ont pas disparu avec le départ des Britanniques. Moins d'un mois après l'indépendance, Zanzibar allait connaître une révolution qui transformerait radicalement son paysage politique et social.
L'héritage de la période coloniale britannique à Zanzibar reste complexe et multifacette. Si elle a apporté des changements significatifs dans l'administration, l'économie et l'urbanisme de l'archipel, elle a également exacerbé certaines divisions sociales et posé les bases de conflits futurs. L'indépendance de 1963 a marqué la fin formelle de cette ère, mais l'influence britannique continue de se faire sentir dans de nombreux aspects de la société zanzibarite contemporaine.